En l’absence des traditionnelles retrouvailles familiales, les chocolatiers doivent s’adapter avec des stocks réduits.
C’est une façade typique de Normandie, en briques rouges un peu ternies par l’humidité à force d’essuyer la pluie. Derrière la vitrine, un sac de fèves de cacao en toile de jute, des créations chocolatées… Et surtout, une pancarte suspendue pour attirer les regards, qui affiche en grand “ouvert”.
D’ordinaire, un simple écriteau sur la porte d’entrée aurait suffi. Mais pour la chocolaterie Cacao Story de la Barre-en-Ouche (Eure) comme dans l’ensemble du pays, le Covid-19 et le confinement qui l’accompagne bousculent les habitudes. Dont celles des fêtes de Pâques, célébrées autour de cloches, lapins, poules et autres confiseries cacaotées.
Comme chaque année, Monique Fontaine pensait cacher des oeufs dans son jardin, à côté de la Barre-en-Ouche. Seulement, ses petits-enfants, eux aussi confinés, ne pourront pas venir: “Je ne sais pas quand je pourrai les voir, donc pour l’instant je n’ai rien acheté”, confie t-elle. Pas de réunions de famille à Pâques et des retombées économiques immédiates: les chocolatiers sont particulièrement touchés par les effets secondaires du confinement. 15 à 30% du chiffre d’affaires annuel à Pâques en temps normal
Après Noël, Pâques s’impose comme le second temps fort de l’année pour les chocolatiers et confiseurs. “Le reste de l’année, on est déficitaire à cause des charges pour faire tourner les magasins”, analyse Claire Autret. La gérante de la chocolaterie Servant, installée à Paris et Neuilly-sur-Seine, réalise entre “15 à 20% de son chiffre d’affaires annuel à Pâques”.
Avec l’épidémie, elle estime que ses ventes vont baisser de 50% voire 70% lors de cette fête, un coup dur pour l’entreprise de 18 employés. Considérées comme des commerces alimentaires de première nécessité, au même titre que les boulangers ou les grandes surfaces, les chocolateries peuvent ouvrir leurs portes en respectant les mesures barrières avec moins de personnel en boutiques et dans les ateliers. “On ne sait pas quand on pourra reprendre normalement le travail, s’inquiète Claire Autret. Si on finit l’année avec zéro euros de bénéfice, ce sera déjà très bien.”
Les pertes varient d’une chocolaterie à l’autre. Pour Gilles Cresno, qui figure tous les ans dans le palmarès des meilleurs chocolatiers de France, Pâques représente environ 25% de son activité annuelle. Il pense perdre un peu moins de la moitié des ventes à cause du confinement.
La chocolaterie Sève, elle, compte sept boutiques dans l’agglomération lyonnaise dont quatre sont fermées, faute de clientèle. “Cela fait 29 ans qu’on a créé la chocolaterie avec mon mari, on n’a jamais connu ça. C’est terrible, on travaille pour faire au moins 20% de nos ventes habituelles pour Pâques”, prévoit Gaëlle Sève, la fondatrice.
Une anticipation difficile
Dans l’atelier de Gilles Cresno à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), le téléphone ne cesse de sonner. À chaque minute, une nouvelle commande arrive, mais le chocolatier peine à tenir la cadence. Après l’annonce du confinement par le président de la République le 16 mars dernier, il a arrêté temporairement la fabrication de pièces en chocolat durant deux semaines. “On ne savait pas si les boutiques allaient pouvoir ouvrir pour Pâques, si les clients seraient là, donc on s’est demandé si ça servait à quelque chose de produire”, se souvient Gilles Cresno.
Sa consœur, Claire Autret a fait de même. “On a renvoyé tout le monde chez soi, la chocolaterie tournait au ralenti avec les membres de ma famille”, raconte la responsable de la chocolaterie Servant. Pour nombre de chocolatiers, la production a donc repris deux semaines avant Pâques: leurs stocks sont faibles. “On n’a pas réintégré les personnes à risques, explique Gilles Cresno. On manque de bras. C’est du flux tendu: les pièces sont à peine sorties du moules qu’elles sont déjà vendues.” Sur le site de la chocolaterie Servant, un message d’alerte incite les gourmands à commander au plus vite car toutes les pièces en chocolat n’ont pu être fabriquées.
“Nous sommes passés de six à deux vendeurs dans nos points de vente”, détaille Gaëlle Sève. En plus de son laboratoire à la Barre-en-Ouche, Mickaël Hurel tient une boutique Cacao Story dans la ville la plus proche, Bernay. Il avait prévu d’embaucher une vendeuse en CDD pour trois semaines à Pâques, mais a dû se raviser. “Tout notre personnel a été mis au chômage partiel et il n’y aura que ma femme à la boutique, au lieu de trois personnes.”
Le drive et les livraisons comme solution?
Beaucoup de chocolatiers proposent simplement aux clients de retirer leurs commandes en magasin, ou sous forme de drive. Meilleur ouvrier chocolatier en 1991, Fabrice Gillotte a mis ce système en place dans son atelier de Norges-la-Ville (Côte-d’Or). Une fois la commande préparée, le client appelle la chocolaterie quand il est sur le parking, en précisant son nom, la marque et la couleur de sa voiture. Le colis est ensuite déposé devant son véhicule, sans aucun contact.
Autre alternative, la livraison à domicile, qui n’est pas toujours simple à mettre en oeuvre. “Tout le monde ne commande pas en ligne”, constate pour commencer Gaëlle Sève. Gilles Cresno livre désormais ses produits uniquement dans cinq communes des Hauts-de-Seine, limitrophes à son atelier de Rueil-Malmaison. Conséquence de l’épidémie, il a dû suspendre les envois nationaux en raison de problèmes logistiques.
“On a eu des gros problèmes de colis qui se sont perdus en chemin et qui ne sont jamais arrivés chez les clients à cause des transporteurs, on a pas mal de commandes à rembourser”, explique le chef d’entreprise. À la chocolaterie Servant en Ile-de-France, Claire Autret rencontre un autre problème: “Mon coursier a doublé ses tarifs et ce n’est pas possible de livrer certains sujets fragiles à l’autre bout de la France par la Poste.”
D’autres clients préfèrent reporter ces dépenses comme Monique Fontaine: “Je ne suis pas croyante, donc pour moi, Pâques peut être remis à plus tard, en mai, ou en juin… Ce sera quand je pourrai voir mes petits-enfants.” Mickaël Hurel, de la chocolaterie normande Cacao Story chez qui la grand-mère se fournit habituellement, avoue qu’il y a “toujours des retardataires après les fêtes de Pâques. Il y en aura sans doute encore plus cette année, si la fin du confinement intervient rapidement.”
Mickaël Hurel a beau avoir stoppé la production “dès l’annonce des mesures de confinement” par le président de la République, “les trois quarts étaient déjà prêts”. Le quarantenaire se retrouve avec près de 500 kilos de chocolats sur les bras, et doit trouver un moyen de les écouler au cas où la situation s’éternise. Il envisage de refondre les plus grosses pièces et réfléchit aussi à des dons “aux commerçants en difficulté, les esthéticiennes ou coiffeurs par exemple, aux Ehpad voire même aux écoles si elles rouvrent”.
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Isabelle Cormaty et Antoine Trinh
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