Le Monde

Mariages reportés: année blanche en perspective pour les wedding planners

Avec le confinement et l’interdiction des grands rassemblements, la plupart des mariages prévus cet été sont reportés. Au grand dam des professionnels du secteur qui craignent de perdre un an de chiffres d’affaires.

Emmanuel Macron vient à peine de finir son discours au journal télévisé, le soir du lundi 13 avril, que le téléphone de Deshani Nicolas, de l’agence parisienne  “Les Coins Heureux”, commence à vibrer dans tous les sens. Juste après les annonces du Président de la République sur la poursuite du confinement, la wedding planner est assaillie par ses clients, dont le mariage était prévu cet été. “Ils m’ont tous appelée, paniqués, pour demander la même chose: qu’est ce qu’on fait ? on garde les dates, on reporte ?”, raconte t-elle, encore débordée. 

“50% à 70% de pertes entre mars et mai”

Sur les dix mariages que j’organise cette année, sept sont reportés. Il en reste un en août, et deux hors saison, au mois de décembre”, confie Deshani Nicolas. Marina Gambier, qui dirige “Les Demoiselles de Madame” depuis onze ans dans la capitale, constate la même chose : “J’avais 20 mariages prévus cette année, onze sont déjà reportés, pour l’instant.” Le confinement tombe au plus mauvais moment pour les organisateurs de mariages: 80% des cérémonies ont lieu entre mars et septembre. 

Ces reports en cascade se traduisent par une baisse conséquente du chiffre d’affaires pour les wedding planners. 50% à 70% de pertes entre mars et mai pour l’instant, d’après les estimations de l’Association des consultants en mariage, l’Assocem. “Mon manque à gagner représente 40 à 50% du chiffre d’affaires annuel, glisse Deshani Nicolas. Le printemps marque à la fois le début de l’organisation des mariages de l’année suivante et la signature de contrats de dernière minute pour l’été qui arrive.

Malgré les aides, la trésorerie fait défaut

Environ 1 000 wedding planners exercent en France, selon l’Assocem. Ces organisateurs de mariages, dont la plupart sont des femmes, planifient des noces sur mesure pour leurs clients. Un métier beaucoup plus répandu outre-Atlantique, où la majorité des futurs mariés ont recours à ce genre de services. Les wedding planners sont les petites mains qui travaillent dans l’ombre, et coordonnent tous les prestataires le jour J. Il leur arrive aussi d’être appelés en renfort par des couples qui voulaient tout faire par eux-mêmes, et se retrouvent dépassés à l’approche de la date. Presque tous sont indépendants, sous le statut d’auto-entrepreneur ou à la tête d’une société dédiée.

Grâce au fonds de solidarité instauré par l’Etat, ils peuvent toucher une aide forfaitaire de 1 500 euros par mois. À cela s’ajoute un report de charges, parfois critiqué. “On devra les payer de toute manière, un mois ne fait pas une grande différence”, estime Pauline Loheac, fondatrice de l’agence événementielle “La Fabrique des Instants”, à Rouen. “Il s’agit d’un report. Le problème c’est que cet hiver, on ne va pas pouvoir signer de ventes, complète sa consœur Marina Gambier. Et on ne peut pas demander aux mariés qui reportent leur mariage à l’an prochain de verser un acompte tout de suite.

L’acompte s’avère d’ailleurs un point sensible pour les wedding planners explique Deshani Nicolas : “Les autres prestataires peuvent rembourser facilement car jusqu’au jour J, ou du moins jusqu’à une semaine avant, ils ne travaillent pas beaucoup sur le mariage.” Les photographes font bien quelques essais, et les traiteurs facturent une dégustation mais à ses yeux, ça ne va pas beaucoup plus loin.

C’est aux mariés de choisir s’ils veulent reporter leur union en décembre

En revanche, nous nous occupons de l’accompagnement et de l’organisation dès qu’on nous verse l’acompte. C’est compliqué de dire aux mariés qu’on ne peut pas les rembourser parce qu’on a déjà travaillé.” Les wedding planners tentent de trouver une nouvelle date qui corresponde à la fois aux mariés, à la famille, au traiteur, au photographe et au loueur de la salle… Un vrai casse-tête, d’autant plus que les couples ayant décidé de se marier en 2021 ont déjà bloqué leur agenda. “Tout l’enjeu pour moi, c’est de ne pas perdre mes clients dans cette situation délicate et anxiogène”, conclut Deshani Nicolas.

D’après un sondage mené par l’Assocem auprès de ses adhérents, 12% des cérémonies sont reportées de quelques mois, à l’automne ou à l’hiver, et même parfois en semaine. Pauline Loheac n’ose pas franchir ce pas sans d’abord en discuter avec les premiers concernés : “C’est quand même leur grand jour et c’est aux mariés de savoir s’ils ont envie de fêter leur union en semaine en décembre alors qu’ils avaient prévu de faire ça aux beaux jours.”

Dans ce cas, les wedding planners adaptent aussi l’offre du mariage : “la couturière doit refaire la tenue de la mariée qui avait choisi une robe dos nu, on doit réserver de nouveaux hébergements…”, détaille Marina Gambier. Inévitablement, cela implique des coûts supplémentaires.

“Un impact jusqu’à 2021 ou 2022”

Si tous les mariages sont reportés cet hiver voire l’an prochain, les wedding planners craignent une année blanche en 2020, synonyme d’absence totale de recettes. “Il y aura de la casse pour celles qui n’ont pas assez anticipé ou qui n’ont pas assez de trésorerie pour passer cette période”, s’inquiète Virginie Mention, cofondatrice de l’Assocem. Face à la crise, Deshani Nicolas envisage de revenir provisoirement à son ancienne activité, responsable digitale, pour ne pas voir son entreprise couler. “Si je survis, il me faudra deux à trois saisons pour récupérer une trésorerie solide,” ajoute-t-elle.

De fait, les conséquences de la pandémie se feront sentir, bien au-delà de la fin du confinement et de l’autorisation des rassemblements pour les professionnels du mariage. “Un impact jusqu’à 2021 ou 2022, d’après la représentante de l’Assocem. Nos adhérentes sont très inquiètes pour l’avenir, on ne sait pas ce qu’il va se passer. Quand on prépare un mariage, on doit toujours gérer des imprévus de dernière minute, mais là c’est une situation inédite.” 

Le déconfinement progressif de la population est prévu pour le 11 mai, mais l’interdiction des grandes manifestations va durer jusqu’à mi-juillet. A ce stade, le gouvernement n’a fourni aucune information sur les limites du nombre de personnes pour les réunions de groupe. “Pour l’instant, on avance un peu à tâtons”, admet Pauline Loheac, de “La Fabrique des Instants”.

“Le report est un moindre mal” 

Chez les professionnels du secteur, beaucoup redoutent les effets à long terme du coronavirus. Deshani Nicolas en est persuadée, même lorsque les mesures de confinement seront levées, “il n’y aura pas de mariages tant que les gens garderont ça en tête. Personne ne veut faire de concessions, vu le le prix et l’énergie que ça coûte. Le report est un moindre mal plutôt que de maintenir un mariage en demi-teinte, à devoir respecter des contraintes comme les distances de sécurité ou le port du masque.” 

Pauline Loheac anticipe elle aussi une baisse des demandes, liée à une toute autre raison cependant : “Avec la récession économique qui s’annonce, les gens auront moins d’argent disponible et l’ordre des priorités changera. Sachant que les mariages représentent déjà un gros budget, ils seront peut être plus réticents.” Le prix moyen d’un mariage s’élève à 8 666 euros, en comptant la tenue, les alliances, l’hébergement, le vin d’honneur, le traiteur, la décoration, la location de la salle, l’hébergement et la lune de miel, selon un baromètre d’OpinionWay pour Sofinco en 2018

Comme pour toutes les personnes forcées à cohabiter sous le même toit depuis le 15 mars, le confinement engendre tensions et disputes au sein des couples. De là à provoquer des ruptures à force de vivre en permanence avec l’élu.e de son coeur ? “J’ai vu qu’en Chine, il y a eu une forte hausse des procédures de divorce à la sortie du confinement, s’amuse Deshani Nicolas. Même si une annulation de mariage est toujours triste” conclut la wedding planner, les projets de noces vont passer un test grandeur nature à l’épreuve du huis clos.

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Isabelle Cormaty et Antoine Trinh