Un historien et un professeur de sciences politiques rappellent comment s’est déroulée la reconstruction de la France après la Seconde Guerre mondiale, tout en excluant toute analogie avec la situation actuelle.
Tirer les leçons de la crise pour préparer le futur, réfléchir à un modèle de société plus juste…Les réflexions sur le “monde d’après” l’épidémie de Covid-19 sonnent comme un refrain chez les politiques. Qu’il s’agisse des Républicains, d’Europe Ecologie-Les Verts ou de la France insoumise, presque tous les partis politiques ont émis l’idée d’instituer un nouveau Conseil national de la Résistance (CNR) ayant introduit la période de l’après-guerre en 1945.
Mais est-ce la bonne référence? Pour comprendre ce qu’a été le CNR et le rôle qu’il a joué dans notre histoire, un petit retour en arrière s’impose. Fondé en mai 1943, le Conseil national de la Résistance regroupe tous les mouvements de résistants, au-delà de leurs divisions politiques. Jean Moulin en fut le premier président. Le CNR est d’abord un mouvement militaire destiné à la Libération de la France. En mars 1944, il adopte un programme intitulé Les Jours heureux qui comprend à la fois des actions de résistance et un certain nombre de mesures destinées à reconstruire le pays une fois libéré.
Alors, y aura-t-il un avant et un après Covid-19 en politique, comme il y eut un avant et un après-guerre en 1945 ? Philippe Roger, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Lille (Nord) et Renaud Dorandeu, professeur de sciences politiques à l’Université Dauphine PSL à Paris analysent la situation actuelle au regard des expériences du passé.
Quel est l’héritage du Conseil National de la Résistance?
Philippe Roger: “Le Conseil national de la Résistance élabore en 1944 un programme commun pour reconstruire la France. Il compte des forces politiques qui ne s’entendent pas mais réfléchissent ensemble à la France d’après. La relance de l’économie passe par un contrôle de l’Etat, la planification et un certain nombre de nationalisations. La reconstruction politique passe par une refondation des institutions pour qu’elles soient plus solides et en phase avec la société. On crée une Quatrième République. En avril 1944, le général de Gaulle signe les ordonnances sur le droit de vote des femmes. Sont ensuite prises un certain nombre de mesures sociales comme la Sécurité sociale ou les allocations familiales.”
Le Conseil National de la Résistance est-il un mythe?
Renaud Dorandeu: “Le CNR représente la matrice de la Ve République. Son programme a inspiré le préambule de la Constitution de 1946, mais il n’a jamais eu de valeur juridique ou constitutionnelle. En France, on a du mal à penser les choses en dehors de la référence à la Seconde Guerre mondiale. Tous les hommes politiques cherchent des références qui parlent. C’est presque paradoxal de vouloir créer un nouveau monde, le monde d’après en se tournant toujours vers le passé.”
Philippe Roger: “Le programme politique du CNR est toujours aujourd’hui une sorte de mythe. Le redressement économique de la France lors de la reconstruction se fait selon les modalités pensées par le CNR dans le souci d’aboutir à une société plus juste et plus démocratique. Tout le monde retient du CNR la Sécurité sociale mais on oublie qu’elle ne couvrait que la moitié de la population. L’après-guerre a été une période de grande croissance économique. Mais cela s’est produit dans tous les pays occidentaux, même ceux qui n’ont pas eu de CNR.”
Dans son discours du lundi 16 mars instituant le confinement général de la population, Emmanuel Macron martèle à six reprises “nous sommes en guerre”. Pour autant, pouvons nous réellement parler de guerre?
Philippe Roger: “Dès qu’il y a un défi à relever, surtout dans le domaine sanitaire, la métaphore de la “guerre” revient souvent. Dans l’entre-deux-guerres par exemple, on parlait de “guerre contre la tuberculose”. La comparaison s’explique par les pertes humaines du virus qui touche tout le monde, pas seulement les forces armées. Puis par l’ampleur des conséquences économiques pour les entreprises et pour le pays.”
Renaud Dorandeu: “La France n’a pas été occupée, n’a pas subi d’agression extérieure. Nous sommes dans une situation exceptionnelle effectivement mais le Président n’a pas les pleins pouvoirs car les conditions prévues par l’article 16 de la Constitution ne sont pas remplies. Y’aura-t-il demain une révision de la Constitution pour y inclure le risque de pandémie mondiale ou de crise sanitaire? C’est une question intéressante. Actuellement, il y a un vide constitutionnel.”
Peut-on alors comparer la reconstruction de la France en 1945 à celle de l’épidémie actuelle?
Philippe Roger: “Les circonstances sont totalement différentes. Il faudra redémarrer l’économie et améliorer le système hospitalier. Les changements n’auront pas la même ampleur qu’en 1945.”
Renaud Dorandeu: “Qu’est-ce qui est détruit? L’économie oui. Et il y a des morts, c’est dramatique. Mais la mortalité n’est pas comparable à la peste noire par exemple. Parler de guerre, ça en dit plus sur l’état moral du collectif que sur l’état réel du pays. En 1945, beaucoup de bâtiments étaient détruits. L’historien Timothy Snyder évoque même une Europe barbare avec des populations affamées… Ne comparons pas ce qui n’est pas comparable.”
Autre référence invoquée par les Verts et la France insoumise: le Front Populaire. Ce moment historique est-il lui aussi fantasmé?
Philippe Roger: “La culture politique française repose sur des mythes, des moments fondateurs ou importants de notre histoire. Le Front Populaire a globalement été un échec sur tous les plans, en politique intérieure comme extérieure, en économie… Mais cela reste un mythe extrêmement mobilisateur pour la gauche avec la semaine de 40 heures et les deux semaines de congés payés.”
Après une telle crise, un changement radical de modèle de société, comme le souhaite une partie de la gauche, est-il possible, sans élection ou instauration d’un nouveau régime?
Philippe Roger: “Dans l’histoire de France, je ne connais pas d’événements sanitaires qui aient pu infléchir radicalement une ligne politique, que ce soit à l’époque contemporaine ou avant.”
Renaud Dorandeu: “Le Front Populaire est arrivé au pouvoir après des élections. La Cinquième République a été mise en place après la guerre civile de 1958 pendant la guerre d’Algérie…. Juste après la crise de mai 68 par exemple, il y a eu des élections. Aujourd’hui, je ne vois pas le chef de l’Etat dissoudre l’Assemblée Nationale. Des voix s’élèvent pour mettre en cause la responsabilité du Premier ministre dans la gestion de la crise, mais Emmanuel Macron pourra toujours changer de Premier ministre auquel cas. En réalité, une partie de la gauche en lien avec l’idéologie communiste, croit toujours au mythe du “Grand Soir”, comme si après un seul événement, rien ne sera plus jamais comme avant. C’est un peu utopique. A cela s’ajoute aussi une forme d’héroïsation politique, l’idée qu’il faut être à la hauteur des événements.”
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Propos recueillis par Isabelle Cormaty