“Les femmes viennent beaucoup moins avorter qu’avant”. C’est le constat que dresse Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne et fondatrice de la Maison des femmes à Saint-Denis. Quelles raisons expliquent ce phénomène? Elle y répond dans notre audio, à écouter ci-dessous.
Depuis plusieurs semaines, de nombreuses associations demandaient l’allongement de la période autorisée pour pratiquer l’interruption volontaire de grossesse (IVG). La sénatrice PS de l’Oise, Laurence Rossignol, avait même déposé le 19 mars un amendement réclamant un allongement du délai de deux semaines. La proposition avait alors été refusée par le ministre de la Santé Olivier Véran et la ministre du Travail Muriel Pénicaud.
Le gouvernement a finalement revu sa copie la semaine dernière… mais seulement concernant l’IVG médicamenteuse. Deux types d’IVG sont en effet possibles: l’avortement médicamenteux, habituellement autorisé jusqu’à la septième semaine d’aménorrhée (absence de règle); et l’avortement chirurgical, à l’hôpital, pratiqué jusqu’à la 14e semaine d’aménorrhée, soit la douzième semaine de grossesse.
L’accès à l’avortement médicamenteux facilité
C’est donc seulement le premier qui est concerné par le décret du ministère des Solidarités et de la Santé du 15 avril dernier. Le seuil d’accès à l’IVG médicamenteuse a été relevé à neuf semaines d’aménorrhée, mais la durée totale d’accès à l’avortement ne change pas : jusqu’à douze semaines de grossesse, soit 14 semaines sans règles.
[NDLR: L’ovulation et donc la fécondation survenant généralement autour du 14ème jour du cycle menstruel, on ajoute environ deux semaines à la période de grossesse pour la convertir en période d’aménorrhée.]
“Ça laisse plus de souplesse”, confirme Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne et fondatrice de la Maison des Femmes à Saint-Denis, un établissement accueillant les femmes en situation de vulnérabilité ou victimes de violences. Pour elle, l’IVG médicamenteuse est la plus adaptée à la situation actuelle. “C’est ce qui génère le moins de déplacements, et donc l’idéal pour respecter le confinement.” Et aussi le plus rassurant pour les femmes. “Il y a un côté je me reconfine chez moi, je n’ai pas besoin de revenir. A l’hôpital, il y a cette angoisse de l’opération, d’avoir des microbes…” En France, près de 220 000 avortements sont réalisés chaque année. Un quart concerne des IVG à domicile.
En temps normal, la procédure consiste à prendre un rendez-vous chez un médecin (le médecin traitant ou un gynécologue) pour faire une demande d’IVG. Durant cette consultation, le professionnel de santé examine sa patiente et l’informe sur les différentes méthodes possibles en fonction de l’avancée de la grossesse. Un délai de réflexion est prévu, mais la patiente peut prendre sa décision immédiatement si elle le souhaite. Pour une IVG médicamenteuse, deux médications sont nécessaires. La première, à prendre chez le médecin, stoppe la grossesse en interrompant la sécrétion de progestérone. Deux jours plus tard, un deuxième médicament à prendre chez soi déclenche les contractions et l’expulsion de l’œuf. Douloureuse, l’IVG médicamenteuse n’est donc pas à prendre à la légère.
“On craint la galère des mineures”
Mais Ghada Hatem estime que le gouvernement pourrait aller plus loin. “On demande que le délai global de l’avortement passe à 14 semaines de grossesse au lieu de 12. Nous ne voulons pas changer la loi en urgence, mais juste un assouplissement des règles pour la durée du confinement.” Sur Twitter, la Maison des Femmes déplore “une victoire en demi-teinte”.
Car la gynécologue n’oublie pas celles pour qui avorter depuis chez soi est difficile, voire impossible. “Quand vous êtes mineure et que vous vivez avec des parents qui sont pas forcément super open, avant vous pouviez aller au Planning Familial sur le chemin de l’école. Là, ça peut être difficile de dire : ‘il faut que je sorte parce que j’ai un amoureux, j’ai un retard de règles et je suis très inquiète’. C’est ça qu’on craint: la galère des mineures.”
C’est en partie pour cela que la gynécologue redoute un pic d’arrivées au déconfinement: “On pense que dès que les femmes vont sortir, elles vont arriver en courant et en priant surtout d’être dans les délais”. Pour y remédier, elle propose, avec d’autres médecins signataires de la tribune ivg-covid.fr, que “les mineures, soient dispensées du délai de 48h qui leur est actuellement imposé avant leur IVG, et puissent bénéficier d’une IVG dans la foulée de leur première consultation”.
Malgré l’allongement de l’accès à l’IVG médicamenteuse décidé par le gouvernement, les revendications restent donc nombreuses et les craintes des gynécologues bien réelles. “Au maximum, il faut que les femmes n’hésitent pas à venir”, conseille Ghada Hatem. “Moins elles attendent, plus on pourra organiser les choses rapidement et depuis chez elles.”
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Aimée Goussot et Alexandre Ravasi