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L’Effet Confinement #3: Face à l’arrêt des courses hippiques, courtiers et propriétaires de chevaux guettent le retour des paris PMU

Plus aucune course de galop en France: c’est une première depuis la Seconde Guerre mondiale. Si certains acteurs peuvent s’adapter, d’autres comme les courtiers ou les propriétaires attendent avec impatience la reprise des courses. D’importants enjeux économiques en dépendent.

Depuis le 11 mars, l’hippodrome de Chantilly est vide. Non loin de là, le centre d’entraînement où logent les chevaux de course est pourtant loin d’être à l’arrêt. Les exercices du matin ont toujours lieu, confirme Mikel Delzangles, entraîneur de chevaux depuis vingt ans. Nous avons simplement dû adapter le programme avec des objectifs différés d’un mois et demi.” Dans son écurie, l’activité bat son plein à un rythme habituel. Tous les employés travaillent, ils font simplement attention à respecter les distances et les gestes barrières. Ils ne peuvent par exemple pas rentrer à deux dans un box.”

Au haras d’Etreham, à quelques kilomètres de Caen, la reproduction des chevaux continue aussi. Mais pas sans quelques aménagements: “Pendant cette période, nous accueillons habituellement des gens extérieurs”, confie Nicolas de Chambure, à la tête de l’exploitation normande. Nous avons dû mettre en place un protocole strict, en évitant les contacts avec les transporteurs, pour que l’élevage se poursuive”. Les juments ont pu être transférées de leur lieu d’élevage vers le haras munies d’une attestation.

Le commerce des chevaux, premier touché

Le commerce des chevaux, lui, est à l’arrêt. Les acheteurs potentiels ne peuvent pas se déplacer pour voir les produits, donc il n’y a quasiment aucune transaction en ce moment”, regrette Nicolas de Chambure. Les plus touchés par ce phénomène sont les courtiers, qui servent d’intermédiaires entre l’éleveur et l’acheteur. Marc-Antoine Berghgracht est l’un d’eux. “En ce moment je n’ai presque aucune négociation, car les acheteurs n’ont pas la tête à ça, déplore-t-il. Je ne peux plus suivre les chevaux, à l’entrainement ou au haras, ni même me déplacer pour me rendre à l’étranger.”

Au haras d’Etreham, toutes les saillies ont pu être réalisées comme prévu. Crédits: Alexandre Ravasi

En attendant la sortie du confinement, le courtier assure le suivi des chevaux de ses clients à l’aide de vidéos que lui envoient les éleveurs. “Mais on ne peut pas faire grand-chose pour compenser, c’est un métier de terrain, assure-t-il. J’aime bouger, je ne suis pas un sédentaire. Partager de bons moments aux courses ou au haras avec les clients, c’est ça qui vend du rêve!”

La reprise des courses dans tous les esprits

Dans ce contexte, le redémarrage des courses est attendu avec impatience. “Il n’y a rien à suivre à l’échelle mondiale, et je ressens un manque en tant que passionné, avoue Larry Roy, propriétaire de douze chevaux. Du coup, je regarde d’anciennes courses pour ne pas perdre le contact”. La reprise pourrait avoir lieu dès le lundi 11 mai, jour de sortie du confinement annoncé par le gouvernement. France Galop, société organisatrice des courses de chevaux à l’échelle nationale, a d’ores et déjà établi un programme prévisionnel. Ne manque plus que l’aval du ministère de l’Agriculture, dont la décision est attendue fin avril.

S’il est en bonne voie, le retour sur les hippodromes ne se fera qu’à huis clos strict: seuls les principaux acteurs de la filière, à savoir les entraîneurs, lads (personnel d’écurie) et jockey seront autorisés dans l’enceinte. ”Ce serait frustrant de ne pas pouvoir y aller, mais le plus important est que les courses redémarrent, commente Larry Roy. Car les chevaux ont besoin de courir pour leur équilibre, ils ne peuvent se contenter de l’entrainement.” 

Le courtier Marc-Antoine Berghgracht ne pourra pas non plus fouler les champs de course. Ce n’est pas l’idéal mais on est là pour vendre du plaisir. De plus, le risque sanitaire est quasi nul en cas de huis clos strict”. Mais l’intérêt est avant tout économique. Deux mois sans courses représente 45 millions d’euros d’allocations non distribuées”, précise l’éleveur Nicolas de Chambure. Et l’effet sur les transactions est immédiat: les acheteurs ne peuvent voir les performances des chevaux sur la piste.” 

L’économie du secteur à l’arrêt

Au-delà du commerce, c’est donc l’économie de tout le secteur qui pâtit du confinement. En particulier car le PMU est la principale source de revenus pour la filière hippique. S’il n’y a pas de paris, il n’y a pas d’argent pour les courses”, explique Marc-Antoine Berghgracht. Comme aucune course et donc aucun pari n’ont été effectués en avril, les recettes de France Galop se sont effondrées. La société n’aura alors que peu d’argent à redistribuer aux entraîneurs, éleveurs et surtout propriétaires à travers des allocations de course. Une aide a donc été demandée à l’Etat. On espère obtenir de quoi relancer pendant deux à trois mois, mais il faut s’attendre à ce que les dotations par course n’excèdent pas 3 000 à 4 000 euros (contre 25 000 en moyenne habituellement)”, détaille le courtier.

Les chevaux de plat stationnés à Chantilly s’entraînent de façon habituelle en attendant la reprise prochaine des courses. Crédits: Alexandre Ravasi

La survie des courses hippiques dépend donc du jeu. Si ça reprend le 11 mai, ce serait le seul événement sportif qui aurait lieu en France… il y aurait une carte à jouer pour attirer un nouveau public”, poursuit Marc-Antoine Berghgracht. Le secteur espère attirer les parieurs sportifs en manque, mais rien n’est sûr: le huis clos pourrait avoir un impact négatif. Certes, les tabacs PMU sont ouverts, mais si les gens ne peuvent pas venir aux courses pour jouer, les paris vont automatiquement baisser”, prévient Mikel Delzangles. “Je pense que je vais parier plus quand les courses reprendront, car cela me manque, affirme lui le propriétaire Larry Roy. Mais je ne sais pas si ça aura le même effet sur les autres joueurs: certains auront peut-être perdu l’habitude ou se seront rendu compte qu’ils n’ont pas besoin de ça. Et puis auront-ils encore les moyens financiers?”

Vers un manque de propriétaires ?

Des répercussions financières qui finissent donc par toucher aussi les propriétaires des chevauxPour beaucoup, le cheval représente un loisir : c’est ce qui passerait à la trappe en premier, selon Marc-Antoine Berghgracht. Si les clients ont un business à côté, ils continueront; mais s’ils sont en difficulté financière, ils n’hésiteront pas à vendre leurs chevaux.” L’un de ses clients au Kazakhstan a déjà franchi le pas: “Il m’a demandé de trouver des acheteurs pour ses chevaux. On est déjà en mal de propriétaires, ça ne va pas aider.”

Je connais des propriétaires qui ont dû retirer leurs chevaux du pré-entrainement parce que ça coûtait trop d’argent”, renchérit Larry Roy. L’entraîneur Mikel Delzangles considère ainsi la reprise des courses le 11 mai comme fondamentale pour les propriétaires de ses chevaux. Ils n’ont aucune rentrée d’argent et doivent payer les pensions, qui reviennent en moyenne à 70 euros par jour… à terme, cela sera un problème.”

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Aimée Goussot et Alexandre Ravasi