Depuis le 17 mars, le confinement bouleverse le quotidien de Français. Dans les couples et les familles, les femmes contribuent davantage à la gestion des tâches domestiques. Une répartition inégale que le confinement peut accentuer. Mais aussi une opportunité pour repenser cette organisation.
“Des journées de 8 heures à 21 heures non stop”, c’est ainsi que Sophie, 52 ans, résume son quotidien pendant le confinement. Mère au foyer, elle a quatre enfants et en ce moment ils sont sept à la maison. “J’ai le double de repas donc le double de courses à faire, la femme de ménage ne vient plus donc j’ai tout le ménage, le linge, je supervise l’école à la maison de mes jumeaux de 13 ans, en plus de ça, je fabrique des masques … Je m’organise comme pour une journée normale mais c’est clairement plus intense”, constate la mère de famille. Son mari est à la maison en télétravail. Sophie concède qu’il l’aide peu: “Parfois il va faire les courses… et il nettoie la plancha!”
Une enquête Harris Interactive menée les 8 et 9 avril 2020 confirme que les femmes ont tendance à prendre davantage part que leurs compagnons aux tâches domestiques. Par exemple, dans 63% des cas, la préparation des repas en période de confinement incombe aux femmes.
“On n’est pas préparés à ce genre de situation donc, sur un temps court, la charge repose principalement sur les femmes.“
Une situation qui n’étonne pas Sophie Barel, doctorante à l’Université Rennes 2 et spécialiste de la représentation du corps féminin: “On n’est pas préparés à ce genre de situation donc, sur un temps court, la charge repose principalement sur les femmes. Ce sont les femmes qui sont en train de porter la crise.” Emmanuelle Santelli, sociologue, directrice de recherche au CNRS au Centre Max Weber à Lyon et spécialiste de la question du couple, ajoute: “Quand les couples reposent déjà sur un fonctionnement inégalitaire, il n’y a pas de raisons de penser que le confinement va changer les choses. On peut imaginer que ce qui vaut dans la vie de tous les jours demeure vrai pendant le confinement puisque l’organisation conjugale et familiale repose sur cette dynamique inégalitaire.”
Pour le moment, Sophie estime ne pas souffrir de la situation. Mais sur Franceinfo, la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa met en garde contre une “possibilité d’épuisement silencieux des femmes, et notamment des mères de famille pendant le confinement”.
Les femmes en couple hétérosexuel sans enfant ne sont pas épargnées par la gestion inégalitaire des tâches domestiques. Elise, 26 ans, est confinée avec son compagnon et elle aussi en fait davantage: “Mon copain est au chômage partiel, moi, j’ai repris le télétravail. Les premières semaines étaient vraiment compliquées. Je cumulais tout: le travail, le ménage, les courses, le linge, c’est moi qui nourrissais le chat tandis que lui s’occupait de la mécanique de sa moto… Ça a commencé à me fatiguer, j’étais à fleur de peau.”
L’écart de temps moyen accordé aux tâches ménagères entre les sexes a d’ailleurs tendance à être plus conséquent dans ces couples sans enfant. Selon l’enquête Harris Interactive mentionnée précédemment, dans ces cas de figure, les femmes passeraient 2 heures 44 à s’occuper du foyer contre 2 heures 02 pour les hommes. Une donnée qui ne prend pas en compte la charge mentale. Pour Emmanuelle Santelli, il est “important de distinguer la répartition des tâches effectuées de la charge mentale, c’est-à-dire le fait d’anticiper et de se préoccuper de l’organisation de ces tâches. En terme de temps, la charge mentale est plus importante pour les femmes que pour les hommes. Par conséquent, si on prend en compte cette charge mentale, l’écart de temps passé à penser ou à effectuer les tâches domestiques est plus conséquent.”
Engager le dialogue pour susciter la prise de conscience masculine
Pour que sa situation change, après quelques semaines de confinement, Elise a décidé d’amorcer le dialogue: “Ça a commencé avec des remarques sur le fait qu’il n’était pas en vacances et que je n’allais pas continuer à tout gérer. Je ne voulais pas qu’on se dispute alors je lui ai demandé qu’il ‘m’aide’, même si j’ai conscience qu’il n’est pas censé ‘m’aider’ mais qu’on doit participer autant l’un que l’autre.” Pour Emmanuelle Santelli, “rien d’étonnant dans le fait que ce soient les femmes qui provoquent le dialogue pour parvenir à plus d’égalité. En général, ce sont elles qui mettent le doigt sur le problème.”
Depuis une semaine, Elise explique que son compagnon participe davantage à faire tourner la machine. “Il faut parfois faire une petite piqûre de rappel mais globalement il s’investit plus et l’ambiance est bien plus détendue. C’est bénéfique pour moi, puisque j’ai moins de tâches à anticiper et à faire, et pour nous deux sur le plan relationnel.”
Chez Clémentine, “deux années de prise de conscience, de discussions et d’efforts” ont porté leurs fruits. Si une répartition des tâches non genrée s’est rapidement mise en place avec son compagnon après leur emménagement, la jeune femme déplore des problèmes de charge mentale qui pesaient sur elle en début de relation. “Je devais toujours penser à tout pour deux, c’était fatigant”, explique-t-elle. Après plusieurs conversations, son compagnon, devenu féministe, a intégré le concept et la gestion du quotidien en temps de confinement est devenue égalitaire. Selon Emmanuelle Santelli, “il y a une une aspiration plus forte des jeunes générations des classes moyennes et supérieures à un partage égalitaire. Les 20-30 ans sont imprégnés de ces questionnements.”
Renégociation du partage des tâches
Tandis que Clémentine est en congé sans solde, son compagnon est au chômage partiel. “Dans ces circonstances où les couples sont déjà plutôt égalitaires et qu’ils vivent la même situation de confinement — en l’occurence, qu’ils ne travaillent pas — ils disposent de plus de temps que d’habitude. Un temps qui pourrait être l’occasion d’une renégociation pendant le confinement”, souligne la chercheuse.
Une renégociation essentielle pour Clémentine: “Avec la crise qu’on vit, on doit prendre soin l’un de l’autre pour surmonter cette situation ensemble. On est, plus que jamais, alliés.”
Quid de l’après-confinement? Difficile pour l’heure de tirer des enseignements. “L’avenir dépend de comment s’est déroulé le confinement, estime Emmanuelle Santelli. Si la période a été conflictuelle, difficile d’envisager des améliorations. En revanche, si ce temps de confinement a permis de trouver une occasion de remettre à plat et de questionner une organisation qui n’avait jamais été redéfinie, il est possible que le confinement change la donne, même pour l’après.”
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Elodie Vilfrite