Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les pandémies mondiales – comme celle du nouveau coronavirus – ne sont pas causées par les virus les plus virulents, qui sont moins contagieux à l’échelle d’une population. On vous explique pourquoi.
.
“Le but d’un virus n’est pas de tuer la personne infectée.” En ce temps de crise sanitaire, la déclaration a de quoi dérouter, elle n’en demeure pas moins une vérité scientifique, comme l’affirme Emilie Mosnier, médecin infectiologue au centre hospitalier de Cayenne. Depuis l’apparition du nouveau coronavirus, les chercheurs le répètent: le but d’un virus est de se transmettre.
De fait, si un patient contaminé décède, il emporte avec lui l’agent pathogène. “Les virus les plus graves sont beaucoup moins contagieux. Un virus est un parasite cellulaire qui a par définition besoin de passer à un moment donné par un hôte pour continuer son cycle de vie. S’il tue son hôte trop vite, il va mourir avec lui avant même de pouvoir être transmis à un autre hôte”, précise Audrey Lacroix, virologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
Peu contagieux à l’échelle globale
Une fois qu’il peut être transmis entre humains, un virus se distingue principalement par deux éléments: sa virulence, c’est-à-dire sa capacité à infecter rapidement un organisme et à s’y multiplier, et sa contagiosité, qui correspond au nombre d’individus pour lesquels une personne contaminée risque de transmettre le virus. Alors que sa virulence est caractérisée par le taux de létalité, soit le nombre de morts rapporté au total des cas d’infection, la contagiosité, elle, est définie par le “basic reproductive number”, plus connu sous le nom de “R0”. Un virus se propage dès lors que ce R0 est égal ou supérieur à 1.
Si à l’échelle individuelle un virus très virulent peut devenir extrêmement contagieux, à partir du moment où il prend le dessus sur le système immunitaire de l’individu infecté, c’est à un niveau global que le risque diminue, et que la probabilité qu’une pandémie se déclare devient très faible.
“A l’échelle globale d’une population, un virus qui serait très virulent et très mortel aurait du mal à se diffuser, reconnaît Emilie Mosnier. C’est ce qui s’est passé dans le cas d’Ebola. Il avait un taux de létalité important. Finalement, les patients étaient tellement malades que ça a rendu la transmission plus compliquée.”
.
Cas emblématique, Ebola, dont la première apparition remonte à 1976 en Afrique, n’est pas classé parmi les pandémies déclarées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), tout comme le virus Nipah (1998, Malaisie) ou le Mers, apparu en 2012, tous restés au stade d’épidémies. Leur point commun: un taux de létalité très important, provoquant entre 35 et 75 % de décès des personnes contaminées, contrairement à la pandémie du virus H1N1, en 2009, et à celle du Covid-19, les deux seules déclarées par l’OMS depuis le début du XXIe siècle.

La grippe espagnole de 1918, particulièrement mortelle, est montrée comme une exception par les chercheurs: “On avait pas du tout les mêmes capacités scientifiques, la grippe espagnole avait pris tout le monde de court”, note Audrey Lacroix, reconnaissant que le facteur humain a joué un rôle croissant dans le barrage des virus les plus virulents, en isolant le plus vite possible les individus qui développent des symptômes très forts.
Covid-19
Dans ce contexte, la faible virulence du nouveau coronavirus inquiète d’autant plus la communauté scientifique, pour deux raisons principales. Si le taux de létalité du Covid-19 est faible, encore difficile à évaluer aujourd’hui, le virus touche inégalement les tranches d’âges, et affecte les personnes déjà atteintes par d’autres maladies. “Le pire, c’est quand un virus est moyennement mortel. A l’image du Covid, pour lequel le problème ne vient pas tant du virus lui-même que de la surmortalité des autres pathologies, liées par exemple à la vieillesse ou à l’obésité, qui sont décompensées”, analyse Emilie Mosnier.
Autre motif d’inquiétude: la transmission quasi invisible de ce virus, alors que des personnes asymptomatiques sont potentiellement contagieuses, contrairement par exemple à l’épidémie de Sras en 2003. “La particularité de ce coronavirus, c’est que l’individu infecté est capable de transmettre le virus avant même de déclarer des symptômes, estime Audrey Lacroix. C’est donc quelque chose qu’on ne peut pas maîtriser en amont pour isoler les individus contaminés.” Publiée il y a deux semaines dans la revue scientifique Nature, une étude menée par l’Université de Guanghzou a même poussé le raisonnement plus loin, en affirmant que le Covid atteignait son pic de contagiosité dans les trois jours précédant l’apparition des premiers symptômes, sans que ces travaux ne soient toutefois repris par d’autres chercheurs.
A lire aussi : “La ruée sur les McDo, c’est une revanche sur le confinement”
A lire aussi : [VIDÉO] Épidémies : les leçons du septième art
Maxime Lemaitre
.