Très impliquées lors des élections municipales, les associations de cyclistes profitent du déconfinement pour demander des pistes cyclables temporaires qu’elles souhaitent pérenniser à l’avenir.
Depuis des années, elles militent pour une meilleure prise en compte de la bicyclette en ville. Parfois en vain. A la faveur du déconfinement, les associations de cyclistes avancent leurs pions et remportent enfin des victoires. Paris, Lyon, Le Mans, Nice… plus d’une vingtaine de villes françaises aménagent des pistes cyclables temporaires afin de préparer la sortie du confinement prévue le 11 mai. Symbole de virage en faveur du vélo, la maire de Paris, Anne Hidalgo a annoncé la fermeture aux voitures des trois kilomètres de la rue de Rivoli. Seuls les bus, vélos, piétons et les artisans pourront l’emprunter. D’autres communes étudient encore l’hypothèse et de nombreuses associations de cyclistes dans les moyennes et grandes villes réclament des aménagements rapides pour les cyclistes.
Le vélo plutôt que la voiture
Parfois surnommées les “coronapistes”, ces aménagements temporaires se matérialisent par de la peinture au sol, des balisettes ou des blocs de béton facilement installables en ville. L’objectif affiché par les municipalités est de favoriser la circulation en vélo, tout en respectant les distances de sécurité entre chaque usager. Pierre Hémon, conseiller de la Métropole de Lyon en charge des mobilités actives, craint “une baisse de la fréquentation des transports en commun et que les habitants utilisent massivement leur voiture.”
Les politiques misent donc sur le vélo, plus écologique et nécessitant des aménagements peu coûteux. Cette démarche est d’ailleurs encouragée par la ministre des Transports, Elisabeth Borne. Le 30 avril, l’État a débloqué une aide forfaitaire de 50 euros pour tout Français souhaitant réparer son vélo, complété par un plan vélo de 20 millions d’euros.
Les associations cyclistes, un lobby très structuré
Cette victoire des associations de cyclistes lors du déconfinement s’inscrit dans une période particulière, avec une forte poussée des enjeux environnementaux et deux mois après le premier tour des élections locales. “La question du vélo a toujours été au cœur des municipales parmi d’autres sujets comme la gratuité des transports par exemple”, explique le maître de conférences en science politique à l’université de Perpignan, Maxime Huré. La plupart des moyennes et grandes villes françaises disposent d’associations de cyclistes très actives. “Elles ont toujours eu un poids politique au niveau local depuis les années 1970. Un certain nombre de militants pro vélo se sont investis dans des listes de tous bords même si une tendance nette se dégage sur les listes écologistes”, ajoute l’universitaire. A Lyon par exemple, Fabien Bagnon, le “Monsieur Vélo” de la ville, coprésident de l’association La Ville à Vélo s’est présenté dans les arrondissements du centre de la ville sur une liste écologiste.
A Paris, Amiens, Montpellier, Nantes et ailleurs, les associations ont organisé un débat sur la question du vélo avant le premier tour. “Cela nous a permis d’interpeller les candidats qui semblaient très intéressés. Il y évidemment une part électoraliste, mais on peut espérer des mesures fortes dans le prochain mandat”, détaille Daniel Daoulas, vice-président de Place à Vélo à Nantes. Ces actions à l’échelon local sont facilitées par la Fédération des Usagers de la Bicyclette (FUB) qui rassemble près de 300 associations en France. “La FUB nous apporte des documents, des conseils juridiques, des formations… Pour les municipales, elle avait créé un questionnaire à soumettre aux candidats pour évaluer leur programme”, énumère Boris Kozlow de l’association deux pieds deux roues à Toulouse.
Ces propositions concrètes permettent aux petites associations d’être très actives. “Ces dernières années, la FUB a développé une communication efficace auprès des élus et a gagné en expertise”, explique Maxime Huré. Chaque année, elle publie le Baromètre des villes cyclables afin d’identifier les bons et les mauvais élèves. Un outil statistique très relayé dans les médias et qui compte pour les édiles. Aucun n’a intérêt à être pointé du doigt.
Des revirements politiques sur le vélo
Mais la pandémie a fait bouger des lignes politiques bien installées. Des édiles parfois hostiles ou réticents aux aménagements en faveur des cyclistes en deviennent maintenant les porte-voix, comme le constate l’écologiste Pierre Hémon partisan du vélo depuis longtemps. “Il y a six mois, quand j’allais voir un maire d’arrondissement ou d’une commune limitrophe pour lui demander de supprimer deux places de stationnement afin d’installer une station de vélo en libre service, certains râlaient, raconte le conseiller de la Métropole lyonnaise en charge des mobilités actives. Aujourd’hui, je découvre des élus favorables au vélo. L’épidémie et le score des écologistes au premier tour a fait réfléchir.” A Lyon, la Métropole prévoit onze tracés cyclables, les travaux ont commencé ce lundi 4 mai sur fond de dissensions politiques. Dans un communiqué, la Ville de Lyon a critiqué le calendrier des travaux qui s’échelonnent jusqu’à la fin de l’année et déploré une organisation “guidée par la facilité”.
Car surprise: à Lyon, le candidat EELV, Grégory Doucet est arrivé largement en tête aux municipales avec 28,46% des voix, loin devant les Républicains à 17% et la République en Marche à 15%. La capitale des Gaules pourrait donc devenir la plus grande ville française dirigée par les écologistes. “Nous vivons une situation exceptionnelle, les hommes politiques ont moins peur de changer d’avis ou de cap sur des sujets en temps de crise”, analyse Maxime Huré, maître de conférences en science politique à l’université de Perpignan et spécialiste des mobilités.
Il y a moins d’un an encore, des militants de l’association Deux pieds deux roues et de l’Action Non-Violente COP 21 (Anv-Cop21) organisaient une action de désobéissance civile à Toulouse (Haute-Garonne). Dans la nuit du 16 septembre 2019, une cinquantaine d’activistes peignent sur la chaussée une voie de bus et pour les piétons pour interpeller les élus. Sans obtenir gain de cause. “Il y a eu un revirement du maire de Toulouse depuis”, note Boris Kozlow, président de l’association Deux pieds deux roues. Il salue les pistes cyclables temporaires mais regrette de ne pas avoir été contacté par la mairie dès de début pour identifier les axes prioritaires.
Les cyclistes sont aussi des électeurs
Pour expliquer les revirements politiques, l’universitaire Maxime Huré rappelle également que “le second tour des municipales n’est pas passé et que les élus sont donc toujours en campagne.” Dans l’Hérault, à Montpellier, le maire divers gauche, Philippe Saurel en ballotage défavorable se targue d’être la première ville française à avoir adopté les pistes cyclables temporaires.“Il n’a jamais été connu pour mettre en avant les aspects environnementaux, ça lui fait de la pub, reconnaît Claire Jourdan, trésorière de l’association Vélocité Grand Montpellier.
“Depuis des dizaines d’années, la ville n’est pas orientée en faveur des politiques cyclables, ce n’était pas du tout dans la conscience des politiques”, assène Claire Jourdan. En octobre 2018, lors de l’inauguration d’une voie de contournement de la ville, le maire affirmait alors que “faire une infrastructure pour qu’elle soit utilisée par deux personnes, ce n’est peut-être pas l’idéal”. Sur les réseaux sociaux, les internautes publient des messages ironiques avec le hashtag #JeSuisUnDesDeux. Vélocité Grand Montpellier prend son envol et passe de 150 à 900 adhérents, mais sans obtenir d’avancées concrètes de la ville et de la métropole… jusqu’à aujourd’hui.
Le déconfinement, accélérateur des politiques vélo
Qu’elles soient mises en place pour des raisons sanitaires ou avec des arrières pensées électoralistes, les pistes cyclables temporaires marquent une accélération des politiques en faveur du vélo dans les métropoles. Les associations et usagers de la bicyclette s’en réjouissent. “D’habitude, lorsqu’on demande quelque chose, les élus nous disent qu’ils vont faire une étude et qu’ils verront après, là ça s’est fait tout de suite. On était presque étonné”, relate Claire Jourdan.
A Lille, presque tous les candidats aux municipales étaient favorables au développement du vélo. Sans attendre l’installation du futur maire et l’application de son programme, le déconfinement a permis un gain de temps grâce à la mise en place de mesures immédiates. “On se libère de la lourdeur des projets d’urbanisme, c’est considérable. Les aménagements sont un peu des prémices de ce que les politiques nous avaient promis, explique Yves Lépinay, membre lillois de l’Association Droit au Vélo (ADAV). Il n’y aura plus qu’à adapter ensuite, si des tronçons sont mal conçus par exemple.”
Objectif: conforter ces nouvelles pistes cyclables
Les associations de cyclistes espèrent pérenniser ce système à terme et remplacer les plots ou balises par des installations durables. Pour se faire, les cyclistes doivent être au rendez-vous en masse. De nombreux usagers redoutent d’emprunter les transports en commun, d’autant que le respect des mesures de distanciation sociale y est parfois difficile. Mais combien opteront pour la voiture ou le vélo pour se rendre au travail? Impossible à quantifier. “Si il y a une forte augmentation du trafic automobile, et qu’à côté se trouve une voie vide réservée aux cyclistes, ce ne sera pas tenable. C’est un pari mais je suis plutôt confiant”, reconnaît Pierre Hémon, élu écologiste délégué aux mobilités actives à la Métropole de Lyon. Réponse le 11 mai.
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Isabelle Cormaty