Le Monde

Pas de messe, pas de quête: les diocèses dans la galère

L’interdiction des cérémonies religieuses depuis la mi-mars empêche les Eglises d’organiser les quêtes, pourtant l’une des principales sources de revenus. Certains diocèses accusent le coup. 

Plus de messes, de mariages, de baptêmes, des funérailles en petit comité: depuis le 15 mars, les recettes du diocèse de Moulins (Allier) sont proches de zéro. “Aujourd’hui, on est quasiment sans ressources, déplore Jean-Philippe Morin, vicaire général du diocèse. Et pourtant, les charges fixes restent les mêmes: par exemple les compteurs d’électricité.” 

Dans de nombreuses paroisses, les salariés de l’Eglise ont dû être placés au chômage partiel depuis l’interdiction des cérémonies dans les lieux de culte. Lors de la présentation de son plan de déconfinement le 28 avril, Edouard Philippe a prolongé cette interdiction jusqu’au 2 juin, au minimum. 

La Conférence des évêques de France (CEF) a réagi dans un communiqué après l’allocution du Premier ministre: “Nous partageons le souci du Gouvernement de limiter au maximum la circulation de l’épidémie, mais nous voyons mal que la pratique ordinaire de la messe favorise la propagation du virus et gène le respect des gestes barrières plus que bien des activités qui reprendront bientôt.”

“On peut tenir jusqu’à août, pas plus”

A Arras (Pas-de-Calais), Lionel Delcroix partage le constat de Jean-Philippe Morin. L’économe diocésain, chargé de la gestion financière du diocèse, a calculé: “Habituellement, la quête représente 25% de nos revenus sur l’année. Nous avons encore de la trésorerie, on peut tenir jusqu’à août, pas plus.” Le manque à gagner empêchera “de faire certains travaux ou d’embaucher de nouveaux salariés directement après le déconfinement”, estime le vicaire de Moulins.

Depuis la loi de 1905 actant la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les religions ne sont plus financées par les deniers publics – à part en Alsace et en Moselle. Les ordres religieux reposent essentiellement sur la générosité des fidèles pour subvenir à leurs besoins quotidiens. Il existe plusieurs catégories de dons: la quête récoltée pendant la messe, la participation financière demandée pour l’organisation d’un mariage, baptême ou enterrement (le “casuel”), les offrandes pour qu’une messe soit dite en l’honneur d’une personne ou encore les legs. En 2016, rien que la collecte de la quête avait rapporté près de 150 millions d’euros à l’Eglise. Elle constituait alors la deuxième source de revenu après la contribution volontaire des fidèles (“deniers”). 

En 2016, la quête représentait 150 millions d’euros, l’une des ressources principales pour les Eglises. Crédit: Conférence des évêques de France.
Les diocèses d’Alsace et de Moselle s’en sortent mieux 

Les diocèses de Metz et de Strasbourg sont, grâce au régime du concordat en vigueur depuis 1801, relativement épargnés par cette dégringolade. Les prêtres reçoivent leur solde de l’Etat et les diocèses n’ont qu’à payer un petit nombre de laïcs. “Actuellement, nous ne sommes pas en danger”, résume Jacques Bourrier, économe du diocèse d’Alsace. Lui et son homologue mosellan s’accordent: ils sont loin d’être dans la situation des autres évêchés français. 

En revanche, l’effondrement des dons n’épargne pas les diocèses des trois départements, qui peuvent en avoir besoin pour assurer l’entretien ou la rénovation de certains bâtiments ou l’organisation d’évènements. “La quête pour le jubilé du Mont-Saint-Odile [un des plus hauts lieux spirituels d’Alsace, attirant de nombreux pèlerins, NDLR], qui se tient cette année, a été suspendue”, se désole Jacques Bourrier. 

Si les finances sont à la peine, Lionel Delcroix affirme cependant: “Ce n’est pas le moment de demander de l’argent. Nous devons aider les gens avant tout.” L’appel aux dons interviendra dans un second temps, une fois la crise terminée. 

La quête numérique ne convainc pas

Pour limiter la casse, l’Eglise a voulu s’appuyer sur des outils numériques permettant aux fidèles d’être généreux à distance. L’application La Quête existe depuis 2016 dans 6 000 paroisses réparties dans 51 diocèses. Même avec le confinement, le bilan reste mitigé. A Moulins, Jean-Philippe Morin évalue les dons à 2 ou 3% de la collecte habituelle. Si chaque semaine, 7 à 10 000 fidèles se pressaient dans les paroisses, déposant autant de dons dans la panière de la quête, seuls 100 donateurs ont pris la peine de donner en ligne en sept dimanches confinés. 

La CEF a aussi lancé un site de quête en ligne à la mi-mars. Mais les fidèles sont peu habitués à ce mode de don. Sur 600 paroisses, le diocèse d’Alsace a récolté seulement 4 000 euros. 

Lionel Delcroix, l’économe d’Arras, sait déjà que même après le confinement, le retour à la normale n’interviendra pas avant de longs mois: “Les gens vont être sursollicités avec les associations qui auront aussi besoin de dons. Le montant des offrandes dépend de la situation économique et sociale. Avec la crise économique qui s’annonce, cela risque d’être difficile pour tout le monde.”

Une opportunité de se réinventer

Même si les quêtes numériques ne permettent pas non plus d’équilibrer les comptes à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), Luc Lelièvre ne s’inquiète pas. “C’est surtout un décalage dans le temps. Les mariages, communions, baptêmes seront célébrés plus tard. Nous ne sommes pas une entreprise, on ne recherche pas la rentabilité.” Pour lui, cette crise “est aussi un moment pour nous de revoir nos priorités au niveau des dépenses, de se renouveler. Nous publions par exemple un journal tous les deux mois. On se rend compte qu’il ne manque à personne”.

Pendant cette période difficile du confinement, continuons de soutenir l'Eglise avec la quête qui est possible en ligne…

Gepostet von Diocèse De Saint-Denis France am Dienstag, 21. April 2020

L’économe du diocèse d’Alsace Jacques Bourrier y voit une occasion de banaliser la démarche auprès des paroissiens. “Je voudrais que ça devienne une habitude de donner ainsi”, commence-t-il. “En plus, le montant du don à la quête en ligne est plus important que pendant l’office. En moyenne, on a constaté que les gens donnaient 30 euros.” Bien loin des quelques pièces jaunes trouvées au fond du sac à main que la mère de famille distribue à ses enfants au moment du passage de la panière lors de la messe. Encore faut-il que la pratique rentre dans les mœurs.

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Tiphaine Niederlaender et Marie Terrier

@tiniederlaender / @Marie0terrier