C’est le sujet obligé des discussions des “visio apéros du confinement”: les racines, les cheveux hirsutes et cette tête qu’on déteste. Moi, j’ai réussi à avoir un rendez-vous clandestin avec mon coiffeur. Et c’est aussi l’occasion d’avoir un avant-goût de ce qui nous attend après le déconfinement.
Les cheveux, on en rigole mais c’est si important que certains feraient tout pour avoir une bonne coupe. Sur les réseaux sociaux ou dans les “visio” entre amis et collègues on en parle beaucoup. Le ton est badin mais ne plus se reconnaître finit par miner le moral.
C’est pour cela que je me retrouve dans cette rue commerçante du 11e arrondissement de Paris. Confinement et jour férié obligent, il n’y pas grand-monde en ce 1er mai 2020 à 14h dans le quartier Oberkampf.
Le salon de coiffure est fermé et les rideaux sont baissés. Mais l’artisan-coiffeur a déjà pris les devants.
Coupe clandestine
Quelques jours plus tôt, je lui ai envoyé un selfie. Barbe hirsute et cheveux en pétard… Il me répond qu’il “ouvre officiellement le 11 mai”. Après un rapide échange téléphonique, “Antoine” m’explique qu’il va coiffer quelques “bons clients du quartier” dans le but de se préparer à la réouverture, mais aussi pour remplir son frigo, n’ayant plus de revenus depuis un mois et demi et toujours deux loyers à payer.

Antoine m’explique comment ça va se passer: nous porterons tous les deux un masque, et lui s’équipera de lunettes de protection.
Mon cœur est léger. Le petit frisson d’interdit n’est pas pour me déplaire: les échanges SMS, payer en liquide… Ça me semble absurde et me fait sourire.
Je toque à la porte, trois coups brefs. Antoine m’ouvre aussitôt. Il est masqué et me presse de rentrer. Il referme la porte aussitôt. Mais trop tard. Quelqu’un toque à la porte. Une femme: “Bonjour, j’ai vu que vous étiez ouvert. Vous prenez du monde ? J’ai vraiment besoin qu’on s’occupe de ma tête.” Antoine répond du tac au tac: “Non, c’est exceptionnel, monsieur est soignant et c’est pour une urgence. Je n’ouvre que le 11 mai.” Là, je n’ai plus le cœur léger. Je me sens même assez mal. Il me rassure: “Je suis assailli de coups de fil et dès que les gens me voient à l’intérieur ils essaient, c’est normal. On ne se rend pas compte à quel point c’est important pour le moral, une coupe de cheveux.”
Désinfection des outils entre chaque utilisation
Habituellement, Antoine travaille avec une apprentie et il y a toujours deux personnes dans son salon. Pour la réouverture, il a déjà tout prévu: le client arrive, dépose ses affaires sur une table nettoyée avant et après chaque passage. On enfile un peignoir tout seul et on passe au shampoing. Sans gants. Cela ne semble pas nécessaire puisque mon coiffeur se lave les mains avant et après.
La distance d’un mètre est impossible à respecter. Antoine me coupe les cheveux avec sa dextérité habituelle… Il prend un peu plus de temps autour des oreilles, masque oblige. Même si je suis le seul client, les ciseaux, rasoirs et peignes sont plongés dans un liquide bactéricide entre chaque utilisation pour une désinfection optimale.
Avant Après
Pendant le confinement, Antoine a acheté des masques, des peignoirs et des serviettes en plus. Son apprentie et lui feront aussi davantage de lessives. Je commence à avoir des cheveux dans le masque. Cela n’est pas très agréable.
“Si j’augmentais mes tarifs, mes clients ne viendraient plus”
Au bout de 45 minutes, je suis peigné, la nuque ne rebique plus et les bouclettes ont quitté le haut de mon crâne… J’ai sincèrement envie de serrer mon coiffeur dans mes bras. A la place, je me confonds en remerciements et je laisse des billets sur le comptoir. Exactement la même somme que d’habitude.
Antoine n’augmentera pas ses prix: “J’y ai pensé, étant donné que je vais perdre une bonne partie de mon chiffre d’affaires du mois de mai… sans parler d’avril qui aura été “blanc”. Vu la crise économique qui se prépare, je ne peux pas augmenter mes tarifs, mes clients ne viendraient plus…”
Je promets à Antoine de le revoir dans un mois et demi. J’ai peur de croiser une connaissance dans la rue qui me demanderait pourquoi j’ai l’air aussi serein derrière mon masque plein de cheveux coupés. J’ai retrouvé ma tête, je ne vais plus passer une demi-heure à essayer d’aplatir le crin qui me sert de chevelure. Ce 1er mai à 15h, je suis tout de même un peu plus heureux qu’une heure avant.
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Eric Nahon