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“Je vais me reconvertir, je n’en peux plus”: ces soignantes qui veulent quitter l’hôpital public

Pour certains soignants, la crise du Covid-19 est la goutte d’eau après des années d’indignation. Trois de ces “héroïnes en blouse blanche” témoignent sur leur envie de claquer la porte d’un hôpital public qu’elles estiment à bout de souffle.

Le 12 avril, Joséphine* tweete, en colère: “Je vais me reconvertir, je n’en peux plus.” Après plusieurs mois de réflexion, la crise du coronavirus a raison de la motivation de cette infirmière de 29 ans, volontaire dans une unité Covid malgré son arrêt pour dépression. “Le personnel doit râler pour avoir des masques FFP2, on doit garder les sur-blouses à usage unique pour être sûrs d’en avoir le lendemain, on découvre que la SHA [solution hydro-alcoolique, NDLR] est diluée, énumère-t-elle. Nous risquons nos vies quand les cadres et les directeurs pensent à faire des économies.

Mais les démarches pour se reconvertir sont longues et difficiles, surtout pour une mère célibataire d’un bébé de six mois. Si je reste infirmière en attendant, c’est pour ma fille et pour payer mon crédit immobilier, résume-t-elle sobrement.

J’ai l’impression d’être dangereuse

Si la plupart des soignants se disent motivés par l’urgence et l’ampleur de la tâche, pour certains, comme Joséphine, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. En France, l’épidémie a braqué les projecteurs sur les défaillances du système hospitalier, dénoncées depuis longtemps: grèves des urgences puis de tout l’hôpital public en 2019, démission de 300 médecins chefs en février… Une enquête, menée par la CGT auprès de 550 000 salariés et présentée le 4 mai, confirme le manque d’équipements de protection individuelle pour les soignants depuis le début de la crise, et une exposition au virus multipliée par onze comparé au reste de la population.

L’épuisement semble prédominer parmi les maux des blouses blanches, malgré le manque de chiffres sur la question. Près d’un médecin sur deux présenterait un symptôme de burn-out, selon l’étude d’un chercheur des Hôpitaux de Marseille publiée début 2019. Et ce n’est pas Laetitia*, aide-soignante à l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), qui dira le contraire: le burn out, elle l’a vécu moins d’un an après son arrivée dans un service “obsédé par les chiffres”. Elle mettra trois mois pour s’en remettre. La trentenaire dénonce le manque progressif de moyens ces dernières années. “Quand j’ai commencé, on fournissait même les brosses à dents et le dentifrice, se souvient-elle. Aujourd’hui, je ne sais pas si j’aurai des collègues pour m’aider en arrivant le matin.

Dans son hôpital parisien désormais dédié au Covid-19, elle a droit à deux masques chirurgicaux par jour. “Une fois, je suis arrivée avec un masque FFP2. Mon chef m’a pratiquement grondée parce qu’ils étaient réservés aux gens présentant des symptômes, relate-t-elle, encore stupéfaite. Pourtant, on l’a appris à l’école: pour les maladies transmises par des gouttelettes projetées, comme le coronavirus ou la tuberculose, il faut un FFP2.

L’épidémie a renforcé son désir de passer dans le privé, où elle espère trouver une meilleure prise en charge des patients. “J’aime mon travail, mais je suis en colère contre l’AP-HP”, insiste-t-elle, persuadée que son équipe a contaminé des patients, faute de matériel adapté. “J’ai l’impression d’être dangereuse. Faire face à une pandémie fait partie de notre travail, pas la mise en danger de nos patients, lâche-t-elle. J’ai choisi ce métier pour les soigner, par les contaminer.

De quoi changer de parcours d’études

La crise du coronavirus a aussi bouleversé les études de nombreux apprentis soignants, envoyés en première ligne. C’est le cas de Chloé*, étudiante de troisième année en soins infirmiers, dont le stage en néonatologie est remplacé par une réquisition en urgences Covid. Elle précise ne pas avoir eu le choix: “Si j’avais refusé, je n’aurais pas pu être diplômée en temps et en heure.

Après une première année de rêve -“J’avais trouvé ma voie”-, la jeune femme de 22 ans déchante, stage après stage. Dès sa première soirée aux urgences Covid, en Seine-Saint-Denis, elle fait face à une situation qu’elle redoutait. “Quand je me suis retrouvée à mettre une vieille dame dans un sac mortuaire, ça a été le déclic. Je me suis dit: il va falloir faire autre chose.” Pour elle non plus, pas facile de changer de voie: le concours d’entrée en école de puériculture qu’elle préparait est annulé, elle doit donc monter “un dossier béton” après son service quotidien à l’hôpital.

Si quelque chose devait changer, ça aurait été maintenant

Le départ programmé de ces soignantes s’accompagne toujours d’un regard cynique sur “l’après-Covid”. Pour elles, il n’y aura pas de “jour d’après pour l’hôpital”, comme l’annonçait Olivier Véran, ministre de la Santé et des Solidarités, le 7 avril sur BFMTV. “Si quelque chose devait changer, ça aurait été maintenant”, estime Camille*, infirmière en réanimation neurologique. Cette mère célibataire de 31 ans, elle, se préparait à partir dans le libéral avant l’épidémie, fatiguée des locaux “vétustes” de son service, où son équipe manquait de tout… jusqu’à l’arrivée du coronavirus. Avec la crise, “On est devenu un vrai service de réa, avec des protocoles ! On a ce qu’on demande dans la journée”, assure-t-elle malgré un équipement “inadapté”.


Pourtant, elle prédit le départ de nombreux soignants après la crise: “On a tous conscience que ça va recommencer comme avant, affirme-t-elle. On sait que tout ce qu’on a eu, on va nous l’enlever, les renforts vont partir. On va retrouver nos problèmes.

Sur le front du coronavirus, les “héros en blouse blanche” serrent les dents. Mais l’épuisement et la désillusion générale pourraient marquer la fin de la crise, et le début d’un règlement de comptes avec le gouvernement.

* Les prénoms ont été modifiés.

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Julie Vitaline

@julievitaline_