Interne à l’unité Covid-19 d’un hôpital du sud de la France, Lise* met aujourd’hui sa carrière entre parenthèses. Éreintée par la crise sanitaire actuelle, cette jeune médecin n’arrive plus à travailler dans des conditions qu’elle juge dégradées. Un constat qui ne date pas d’hier.
Le Pangolin : Pourquoi avoir pris la décision d’arrêter aujourd’hui ?
Lise*: J’ai décidé de faire une pause car psychiquement et physiquement, je ne me sens plus capable de travailler. Je ne dors plus, j’ai développé des troubles de l’alimentation, je me sens épuisée à tout moment. Dès que je dois me rendre à l’hôpital, je stresse, je fais des crises d’angoisse. Je n’arrive plus à me lever. Une fois au travail, ça ne s’arrange pas. Tout me donne envie de pleurer. J’ai des problèmes de concentration. Je n’arrive plus à exercer comme je le faisais avant, à endosser de si lourdes responsabilités.
Constatez-vous un épuisement du personnel soignant ?
Je ne sais pas si on peut parler de burn-out, mais ça y ressemble. Il y un ras-le-bol. On tire sur une corde qui n’a pas de marge de manœuvre. Dans mon entourage, c’est l’écroulement général. Tout le monde est fatigué, stressé. On a peur de passer à côté de certaines choses, de faire des erreurs. Ma cheffe de service s’est mise en arrêt, d’autres collègues y songent. Beaucoup ont attrapé le virus, on ne voit pas nos familles, certains soignants ont dû se déloger… Tout ça n’est pas vraiment reconnu.
Les services hospitaliers connaissent un afflux massif avec la pandémie de Covid-19. Comment cela se traduit dans l’exercice de votre fonction de médecin?
J’ai travaillé plus de 500 heures depuis le début de la crise. Le problème actuellement, c’est qu’on a une organisation qui peut changer au jour le jour. A tout moment on peut avoir un repos qui saute, par exemple. Les services sont débordés, on manque de renforts. On est comme des cons avec nos sacs plastiques car il n’y a pas de sur-blouses. Parfois on n’a pas de sur-chaussures, il n’y pas assez de respirateurs… En fait, on n’était pas prêts à faire face à la pandémie.
A quoi ressemble une semaine type en unité Covid ?
Il y a deux semaines, j’ai travaillé du samedi au vendredi. On travaille 12 heures par jour. Le vendredi, en plus, j’étais de garde pendant 24 heures. La semaine dernière, j’ai dû donner ma garde car j’étais au bout du rouleau. Ça fait vraiment deux mois qu’on reste sur le qui-vive. Et même quand je suis de repos, c’est difficile de passer outre ce qu’il se passe au travail. On est vraiment plongés dedans.
Étiez-vous destinée à travailler dans une telle unité?
Non, j’ai dû abandonner mon poste habituel quand la crise est arrivée. A la base, j’étais en formation de chirurgie médicale. Avec l’annulation des chirurgies non-urgentes, on m’a transférée. Sur le plan médical, on a été formés, le Covid-19 n’est pas une pathologie qui nous dépasse en tant que médecins. Mais on manque de moyens. J’ai eu beaucoup plus de responsabilités, mais la maladie restait dans le cadre de mes compétences.
Quelles sont les difficultés engendrées par cette crise sur le plan mental ?
Dans mon service, on a des patients en hospitalisation et des patients qu’on ne peut pas placer en réanimation. Quand je partais le soir, il y avait des patients que je laissais mal, je savais qu’ils ne passeraient pas la nuit. Émotionnellement, c’était très dur. Une fois, j’étais de garde, on m’a appelée. Un patient était sur le point de décéder. Je me suis retrouvée à expliquer à la famille qu’il n’allait pas s’en sortir. Sa fille m’a demandée de rester, de lui tenir la main dans ses derniers instants, de lui dire que ses proches l’aimaient…
Est-ce la première fois que vous êtes confrontée à la mort de patients ?
J’ai déjà été amenée à annoncer des décès. Ce qui est compliqué, ce sont les caractéristiques propres au Covid. Les gens décèdent de manière solitaire. Le seul contact qu’ils ont ce sont des personnes avec des masques, des blouses bleues. Ils meurent sans même voir un visage.
La crise actuelle est-elle l’unique élément déclencheur de votre pause ?
Elle y a grandement participé. Mais de manière générale, je trouve qu’on souffre d’un manque de reconnaissance. J’ai déjà été victime de tentatives d’agressions au travail par exemple, parce que des personnes en avaient marre d’attendre, alors que je n’y étais pour rien. Il n’y a simplement pas assez de personnel.
Pensez-vous être suffisamment rémunérée ?
Aujourd’hui je touche 1 500 euros brut par mois. Une garde de 24 heures est payée 120 euros. J’arrive donc à plus ou moins 2 000 euros par mois. J’avais divisé mon salaire par le nombre d’heures: je suis tombée à cinq euros. En tant qu’interne, je ne peux légalement pas travailler plus de 48 heures par semaines donc mes heures supplémentaires ne sont pas rémunérées. L’année dernière, les internes se sont mis en grève mais cela n’a pas duré, on a dû travailler. Nos revendications ne sont pas entendues.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
J’ai un arrêt de trois semaines. Je n’ai pas pris de poste pour les six prochains mois. Le but de cette décision est de ne pas remettre en cause ma carrière pour de mauvaises raisons, de ne pas m’épuiser jusqu’à développer un profond dégoût pour la médecine.
*Le prénom a été modifié
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Propos recueillis par Bastien Serini