Le Monde

Un prêt peut-il renouveler le foot français?

A l’arrêt depuis deux mois, les clubs de Ligue 1 et 2 ont souscrit un prêt commun de 224,5 millions d’euros. Une somme pour regonfler les trésoreries et amorcer une réflexion sur la tenue des comptes des équipes de foot françaises. 


Les clubs l’attendaient, les clubs l’ont eu. Ce lundi 4 mai, les formations de Ligue 1 et 2, via la Ligue Professionnelle de Football (LFP), ont souscrit un emprunt collectif, garanti par l’Etat, de 224,5 millions d’euros. Une somme pour compenser les pertes des droits télévisuels que les diffuseurs refusent de payer depuis l’arrêt prématuré de la saison en mars dernier. 


Mais comme le rappelle Pierre Rondeau, économiste du sport, “ce n’est pas un don d’Etat, c’est un prêt”. Il ne remplacera pas les pertes commerciales, qui se chiffrent pour la Ligue 1 à plus de 380 millions d’euros. A partir de 2022, les clubs auront cinq ans pour le rembourser. C’est une nouvelle contrainte pour leur comptabilité, rarement excédentaire.

Gagner sportivement ou gagner économiquement

Pour la saison 2018-2019, seuls les clubs de Lyon, Béziers et Nîmes dégageaient un excédent budgétaire avant l’achat et la vente de joueurs. Pire, les comptes de l’Olympique de Marseille (OM) ou du Lille Olympique Sporting Club (LOSC) sont dans le rouge même après le mercato : 91 millions de déficit pour le premier, 67 millions pour l’autre.

Pourquoi de tels bilans ? Parce que les clubs de football ne sont pas des entreprises comme les autres. Les dirigeants ne cherchent pas à maximiser les profits, mais les victoires. Pour gagner des matchs, ils faut dépenser, pratiquement sans compter”, explique Luc Arrondel, chercheur au CNRS et auteur de “L’Argent du football”.

Ainsi, les clubs adoptent une philosophie de solvabilité. Ils tiennent leurs finances non pas pour dégager des excédents mais pour s’assurer qu’ils pourront payer leurs dettes à moyen terme. Une logique comptable qui montre ses limites depuis plusieurs années. Alors aujourd’hui, les experts s’interrogent : où trouver l’argent pour rembourser le prêt d’Etat?

Davantage de sobriété financière…

La première piste se trouve du côté des droits de diffusion télévisuels. Principale source de recettes pour les clubs, ils ont explosé pour la période 2020-2024. Pour la Ligue 1, ils s’envolent à 1,15 milliard d’euros par saison, soit 60 % de plus qu’aujourd’hui. Pour la Ligue 2, ils se chiffrent à 64 millions. C’est trois fois plus que pour la période 2016-2020.

“Ce surplus sera sûrement réparti de façon équitable. Environ 20 millions d’euros en plus pour les budgets des clubs”, avance Richard Duhautois, économiste spécialiste du football, qui ne se fait guère de soucis concernant la capacité de remboursement des équipes. “D’autant que les droits télé continueront d’augmenter dans les années à venir… 


Pour d’autres, ce prêt d’Etat peut être un moyen d’instaurer davantage de sobriété financière dans les bilans comptables des clubs. Pierre Rondeau rêve même d’une “révolution comptable”. Pour la première fois, tous les clubs devront dégager des excédents, et donc réfléchir avant de faire tel ou tel investissement”, annonce-t-il.

Davantage de rigueur budgétaire pourrait mettre fin au risques de faillite permanents auxquels sont confrontés de nombreux clubs français : “Ils comptent tous sur le mercato pour équilibrer leurs comptes, mais c’est une source de revenus trop imprévisible, trop liée aux résultats sportifs”, souligne l’économiste. De plus, tous les clubs ne sont pas capables de traverser une faillite : au contraire du PSG (Paris Saint-Germain) ou de l’OM, tous ne profitent pas d’une file d’investisseurs et de fonds souverains prêts à éponger les pertes.


Respecter strictement le fair-play financier pourrait être un premier pas”, estime Pierre Rondeau. Cette règle européenne, adoptée en 2010, empêche les clubs de foot professionnels de dépenser plus qu’ils ne gagnent. La sanction? Se voir refuser l’accès en Ligue des Champions. C’est d’ailleurs ce qui pend au nez de l’Olympique de Marseille, dont les comptes sont dans le rouge depuis plusieurs saisons. Son sort sera fixé le mois prochain.

Les joueurs, trop payés ?

Pour autant, Pierre Rondeau n’est pas favorable à un plafonnement du salaire des joueurs. La seule valeur ajoutée du football, ce sont les joueurs. Si demain, les salaires sont plafonnés, la différence ira droit dans la poche d’une poignée de riches investisseurs”. Même constat pour Richard Duhautois: “On ne va tout de même pas revenir au foot des années 1970, quand les joueurs étaient sous-payés !


Sans pour autant toucher au salaire des joueurs, des solutions peuvent venir renflouer les comptes des clubs. “Regardez l’Olympique Lyonnais (OL), il diversifie ses revenus avec des investissements dans l’immobilier et l’évènementiel. Il est propriétaire de son stade et de son centre de formation. Alors que le PSG loue toujours le Parc des Princes à la Mairie de Paris…”, décrit Pierre Rondeau. Il regrette que tous les clubs français n’adoptent pas de stratégie d’investissements à long terme.

Pour s’assurer contre de futures crises, la Ligue de Football Professionnelle pourrait aussi se constituer une épargne à la disposition des clubs en difficultés. “Un fonds de garantie en cas de coups durs”, explique Luc Arrondel. Epidémie, blessure d’un joueur star, relégation, défaite prématurée… Dans le football, les imprévus ne manquent pas.

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Chloé Barbaux et Maxime Levy

@chloebrbx et @grouchome